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Un premier roman dans lequel Ewan Lautran, chargé de neutraliser une odieuse crapule , se retrouve embarqué dans une course contre la montre . Qui a intérêt a s'emparer le premier des secrets que possède Martin Linke et pour en faire quoi ?

23 Mar

CHAPITRE 6 : La planque

Publié par Josselin Donan

CHAPITRE 6 : La planque

Sandor Kravek fixait l'écran de l'ordinateur, les yeux prêts à sortir de leurs orbites. Assis dans le vieux fauteuil de la loge à peine chauffée, la souris à la main, cela faisait maintenant plus d'une heure qu'il enchaînait les vidéos lestes. C'était son moment préféré. A cette heure plus que tardive les mouvements dans l'immeuble étaient quasiment nuls. Et les occupants de cette résidence cossue ne faisaient guère attention à lui quand ils revenaient de leurs virées nocturnes, passablement éméchés, parlant et riant haut et fort. Lui, le réfugié hongrois n'en avait cure. Il avait aussi ses soirées. Solitaires et secrètes, mais il s'en contentait.

Il avait bien fallu. Petit, la cinquantaine avancée, affublé d'un malencontreux strabisme qui lui donnait un air d'attardé mental, il n'avait jamais intéressé aucune femme. Les seuls regards qu'elles daignaient jeter sur lui étaient emprunts d'une moquerie à peine voilée. Ou de pitié, ce qui le blessait plus encore. Alors il avait pris sa revanche. En se délectant de vidéos pornographiques où la femme était humiliée par la main de l'homme. Et surtout par son sexe. Le spectacle de ces femmes simulant laborieusement le plaisir, le corps offert à des flots de sperme déversés en boucle par des hommes insatiables lui faisait atteindre une jouissance infinie. Elles lui semblaient à sa merci, par étalon interposé.

Et ce soir ses fantasmes étaient comblés. Après des recherches frénétiques il venait de se connecter sur un site encore inconnu, pour amateurs de scènes sado-masos. Ce qu'il visionnait dépassait ses attentes les plus folles. Le coeur menaça de lui manquer devant ces images d'une impudeur radicale qui ravivaient ses frustrations. Sans quitter l'écran des yeux, il saisit derrière lui la cafetière allumée en continu. Il se versa un plein bol de café brûlant. La nuit promettait d'être longue et riche en émotions. Alors que sur l'écran, la femme en gros plan s'offrait, consentante, aux outrages d'une bestialité inouie de son partenaire, la main droite de Sandor quitta la souris et fila sur le renflement de son entrejambe. Les images ne lui suffisaient plus. Il se mit à le masser doucement. Il sentit sous la main, à travers son jean, son sexe répondre à ses sollicitations. Avec zèle. ll ferma les yeux et pendant de longues minutes il accentua sa caresse.

Il entendit sur l'écran, la femme atteindre bruyamment son plaisir. Il pressa de sa main immobile la bosse de son sexe pour tenter de calmer une érection douloureuse. Mais c'était trop tard. Sa semence se déversa brutalement par saccades voluptueuses, inondant son caleçon. Epuisé, il resta sans bouger, encore habité par ses fantasmes. Soudain, il sursauta . Deux coups secs venaient d'être frappés sur la vitre de la loge. Il leva la tête . A peine identifiable dans un duffelcoat noir et des lunettes fumées, Martin Linke le dévisageait, incrédule.

Il fallut à peine une demi-seconde à Sandor pour mesurer l'embarras de sa situation. Il était évident que Martin Linke avait tout perçu du spectacle humiliant qui s'offrait à lui. Les images déversées par l'ordinateur étaient plus qu'éloquentes. Sans parler de la bande son... Et l'auréole humide apparue sur son jean n'arrangeait rien. Sandor se sentit rougir, ce qui augmenta son trouble. Il se leva d'un bond, ouvrit la petite fenêtre en oubliant de faire taire son écran. Les deux hommes se firent face, sans rien dire. Sous les râles et les cris expressifs des acteurs qui poursuivaient leur marathon érotique.

Devant Sandor paralysé comme un enfant pris en faute, Martin Linke se décida. Un doigt pointé vers le placard du fond de la loge , il tenta de couvrir tant bien que mal le bruit des ébats :

-Passez-moi mes clefs, s'il vous plaît. Le dix-huit. J'ai besoin de travailler, je ne suis là pour personne. Je resterai peut-être plusieurs jours. J'ai tout ce qu'il me faut, ne vous occupez pas de moi.

-Entendu, monsieur Linke. Sandor alla chercher la petite clef du studio et la rapporta sans même chercher à dissimuler,sur le jean, l'auréole qui avait pris des proportions flatteuses. Il la tendit à Martin Linke, osant à peine affronter son regard. Celui-ci la récupéra et fit une pause avant de laisser tomber, ironique : -Vous savez, les fuites urinaires, on les soigne aujourd'hui. Vous ne devriez pas rester comme ça.

Martin Linke referma la porte du studio et jeta la clef dans le petit panier d'osier sur le guéridon. Il ne put s'empêcher d'éclater de rire en ôtant son manteau avant de rejoindre le salon. Cet imbécile de Sandor! Il doit se branler toutes les nuits dans la loge ! Voilà à quoi sert l'ordi de la copropriété ...

Terrassé par l'heure tardive et les contretemps des derniers jours, il ouvrit la porte du mini-bar, en quête de réconfort. Il se décida pour un bon vieux gin. Il se versa un copieux verre d'Holander, sans glaçon par paresse, et se laissa tomber sur la banquette de cuir. L'esprit vide. Le silence et le confort douillet lui firent du bien.

Après avoir laissé Aenia, il avait rejoint ce studio discret. Il lui avait fallu plus de deux heures. Multipliant les détours, évitant les grands axes pour dissuader toute tentative de filature. Maintenant il se sentait en sécurité. Personne ne viendrait le chercher ici. Pas même son épouse. Personne ne connaissait l'existence de cet appartement, acheté pour une somme substantielle dans un quartier en pleine rénovation... Et qui avait surtout le mérite d'être excentré. C'est-à-dire proche de l'aéroport. Martin Linke avait d'odieux défauts mais une capacité d'anticipation hors du commun. Pouvoir quitter le pays sans délai, quand sa survie était en jeu, présentait bien des attraits. Alors il n'avait pas renaclé à la dépense.

Martin Linke se redressa. Il se sentait à nouveau quelques forces. L'alcool avait aussi décuplé sa hargne. Il allait leur montrer à tous qu'on ne s'en prenait pas à lui impunément. La décision s'imposa, évidente. Il fallait frapper un grand coup. Grand et définitif. Il balaya du regard le studio avec le sentiment qu'il appartenait déjà au passé. Comme bientôt toute son existence ici, en Sandrésie, si le plan fou qu'il venait d'imaginer prenait forme. Le visage vieillissant et réprobateur de sa femme lui sembla un bref instant flotter devant ses yeux. Il le chassa symboliquement d'un revers de la main. Il irait rejoindre à son tour le magasin des souvenirs... Le corps souple et docile d'Aenia avait d'autres atouts. Un peu de chance, quelques précautions, et l'avenir s'annonçerait radieux.

Dopé par ces stimulantes perspectives, Martin Linke se dirigea vers le bureau de verre installé dans le fond du coin salon et alluma l'ordinateur. Il se connecta sur la messagerie. Lentement, pesant chaque mot, il expédia trois longs mails. Puis, par superstition, il regarda l'heure. Trois heures du matin. Il venait de changer de vie.

CHAPITRE 6 : La planque
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